Ce chœur laïc du monastère Sainte Elisabeth est un chœur d’hommes qui a toujours chanté sur un ou deux tons. Cela s’expliquait auparavant par les capacités musicales limitées de ses chantres, mais aujourd’hui la situation est toute différente. Beaucoup de changements se sont passés en une période assez courte. Les changements ont commencé il y a quelques années avec l’arrivée du nouveau chef de chœur, Eugène Prokofiev, âgé de vingt ans ce qui est presque l’âge du chœur lui-même. Depuis lors, la chorale a atteint un niveau haut de chant ce qui est aussi confirmé par sa participation au festival «Derzhavny Glas» («Voix Souveraine») parmi d’autres collectifs.
Nous avons rencontré Eugène Prokofiev après un office Divin et avons parlé des positions dans la chorale, du rôle du chef de chœur, ainsi que des traditions anciennes et de l’utilisation des technologies modernes dans la popularisation de ces traditions.
Lorsque la célébration des offices Divins a lieu dans les églises Saint Nicolas ou Sainte Elisabeth, les chantres se trouvent à côté des paroissiens, vous vous trouvez près des chantres. Il en est de même dans l’église des Martyrs de la famille impériale ou l’église Sainte Xénia de Saint-Pétersbourg. Quant à l’église de l’icône de la Mère de Dieu «Souveraine», le chœur se trouve en haut et vous en face des chantres. Qu’est-ce qui vous semble le plus commode pour chanter? Où vous sentez mieux la chorale?
Dans les églises que vous avez mentionnées, il n’y a presque pas de possibilité de se tenir devant le chœur et c’est donc une nécessité de se trouver à côté. Certes, on peut placer des lutrins et mettre le chef du chœur devant, mais nous chantons beaucoup mieux quand nous sommes tous l’un à côté de l’autre, voyant devant nous les partitions et les textes. Ainsi, on fait moins attention à des fautes. C’est aussi permet d’éviter de voir ce qui peut détourner l’attention, par exemple, si quelqu’un s’est tourné ou si quelqu’un est venu en jeans... En plus, se trouvant au milieu du chœur, on sent mieux l’office Divin et on se plonge encore plus dans la prière. A propos, c’est bien le cas à Valaam que j’ai visité il n’y a un mois: tout le monde y chante ensemble et le chef du chœur est avec les chantres. Ce qui est étonnant, c’est que leur chef du chœur, le père David, se tient au milieu de 20 à 30 chantres et leur chant est si harmonieux! J’ai chanté avec eux. C’était si bien d’être dans cette chorale! J’ai compris là que c’était plus commode pour le chef de se trouver parmi les chantres. Cependant, du point de vue professionnel, il est évidemment mieux de se trouver face à la chorale. C’est la meilleure position pour entendre le chant de la chorale dans son ensemble ainsi que tous séparément. Il faut dire que l’acoustique de l’église de l’icône de la Mère de Dieu «Souveraine» est si inhabituelle que l’on peut entendre chaque chanteur, mais en même temps tout le chœur. C’est impressionnant, je n’ai vu ça nulle part!
Si je comprends bien, la tâche principale du chef de chœur est de ressentir chaque chantre? Qu’est-ce que cela veut dire, ressentir le chantre?
Chaque membre d’une chorale est une personne unique. C’est bien le cas de notre chorale. J’y ai réfléchi il n’y a pas longtemps, comment était-ce possible à tous ces gens de se réunir si ce n’est par la volonté de Dieu? Ils sont tous très différents. Il se peut que dans la vie notre rencontre n’aurait pas eu lieu puisque nous avons tous des intérêts différents. Cependant, tous les membres de la chorale chantent comme un seul, font leur possible et contribuent à l’affaire commune.
Certes, c’est comme ça que les membres du collectif révèlent leurs talents et c’est formidable de les voir évoluer. Cela se sent! Il y a deux ans, je considérais le chœur comme l’une de mes fonctions. Aujourd’hui, cela ressemble plus à une famille, j’attends beaucoup chaque célébration de l’office Divin et je suis ravi de passer le temps en leur compagnie non seulement à l’église. Lors des répétitions et des offices Divins il peut y avoir des petits incidents entre le chef et un subordonné, c’est-à-dire que je peux élever la voix, gronder quelqu’un mais seulement au niveau professionnel, bien sûr. Après les répétitions tout revient à sa place et nous oublions ces aspects négatifs parce que tout le monde me comprend. Je pense que c’est très important et que cela manque dans de nombreuses chorales. Les gens viennent ici non pas pour montrer leurs talents ou pour recevoir de l’argent, mais ils viennent parce qu’ils comprennent «qu’il est bon pour nous d’être ici» (cf St Matthieu 17: 4). Et, il est assurément bien de faire partie d’un tel collectif.
J’ai entendu dire que le chœur est comme une loterie. Je pense que vous avez eu la chance: on vous a confié, à un jeune homme, la direction de toute une chorale. Plusieurs chantres ont une éducation musicale. La moniale Iouliania (Denissova) est toujours prête à vous aider, les prêtres sont bienveillants et ouverts à votre œuvre. Que pouvez-vous en dire?
Vous savez, il très agréable de travailler avec les professionnels. Quelle chorale encore peut dire, par exemple, qu’elle a trois ingénieurs du son, des guitaristes professionnels et que tous sont des musiciens dans l’âme? (il rit) Chacun apporte ses savoirs et connaissances dans notre affaire commune. Moi aussi, je fais tout ce qui dépend de moi afin de diriger le chœur comme un organisme uni, je consacre mon temps libre à trouver et à améliorer quelque chose, à faire des copies des partitions pour que ce soit beau et commode pour les chantres. Moi personnellement, je peux chanter à partir des partitions écrites à la main, mais je comprends que pour les autres cela peut causer des difficultés. Il me semble que pour faciliter la tâche du chœur, tout son chef doit faire ainsi.
Quant à la question comment on m’a confié la chorale... Honnêtement, au début je ne voulais pas du tout m’occuper de cette chorale et je cherchais même des prétextes pour m’en échapper. Mais maintenant, je remercie sincèrement Dieu de ne pas avoir me permis d’agir à ma guise. Après cela une vie très créative et intéressante a commencé!
A propos, la moniale Iouliania apporte un grand appui professionnel et spirituel dans le développement de la chorale. Il serait difficile de trouver une autre chorale qui a une telle aide et intercession (il sourit). Je sais qu’elle prie pour nous et elle nous donne de précieux conseils pendant les offices Divins.
En quoi, d’après vous, consiste la mission principale du chef de chœur?
Sa mission est le service de Dieu. Être un honnête et vrai serviteur de Dieu. Comment pouvons-nous servir Dieu? Je comprends que ce que je fais est, peut-être, la seule chose qui peut m’aider dans ma vie spirituelle. Je me demande souvent: «Que puis-je donner encore à Dieu si ce n’est que faire de mon mieux pour diriger la chorale et Lui chanter du fond de mon cœur?» Je pense que c’est la seule voie maintenant pour moi à suivre vers le salut. Si je meurs maintenant, quelles sont les raisons de me sauver? Je me rends compte qu’il n’y a pas de bonne raison. Il y a trop de choses dans ma vie que je ne fais pas correctement, comme je le devrais, mais j’espère que mon service sincère de Dieu sera compté en faveur de mon salut.
Dans le film les «Paraboles» qui a été tourné par notre monastère, il y a un épisode où lors d’un office Divin, un des chantres ne prie pas mais plonge dans des réflexions où à son avis les ténors crient et les basses pèsent. Comment parvenez-vous à guider les chantres et, en même temps, à prier? Comment gérez-vous ce genre de réflexions?
Évidemment, des pensées pareilles viennent à tout chef de chœur, même si celui-ci se force à penser le contraire.
Au début, j’ai d’avance été tout le temps mal disposé, tout tombait de mes mains, les moindres erreurs, surtout les miennes, me rendaient irrité. Mais c’était avant comme ça. Aujourd’hui, je suis de telle opinion que pendant l’office Divin aucunes petites erreurs ne m’inquiètent pas et qu’il n’y a pas de raison d’inquiéter et de chagriner le collectif par mon bougonnement permanent que la moitié des chantres n’entend même pas. Tout ceci peut avoir lieu à la répétition, mais à la célébration de l’office, ces derniers temps, je ne dis rien tout simplement. Il faut dire que le chant est assez beau alors, cela me plaît.
J’ai pensé que ceux qui chantent dans la chorale sont des gens sérieux et responsables. Ils sacrifient beaucoup de choses car il y a la famille, le travail, des circonstances différentes, mais ils viennent ici pour chanter et prier. Je pense qu’à votre place je leur pardonnerais tout, toute erreur de chant. Je comprends aussi que comme le chef de chœur, vous pouvez utiliser non seulement une carotte mais aussi un bâton. Quels sont vos bâtons et vos carottes et où les gardez-vous?
Vous savez, ce que j’utilise maintenant, c’est uniquement la «carotte». Il n’y a pas de «bâtons» en principe. Ceci est grâce aux chantres eux-mêmes puisqu’ils font tout de sorte que l’utilisation de «bâtons» n’est pas du tout nécessaire. S’il y a quelques malentendus, je les discute avec un chantre en tête-à-tête, et on trouve une solution en paix. Oui, nous avons bien la chance que les membres de la chorale sont très responsables. Comme vous l’avez justement remarqué, ils sont tous fatigués après leur travail régulier. Ce n’est pas étonnant car ils travaillent dur: l’un à l’atelier de produits en métaux non ferreux, l’autre fait de la traduction restant devant l’ordinateur pendant toute la journée, certains occupent des postes dirigeants, il y a aussi un ingénieur du son qui est entouré de sons tout au long de la journée et puis encore ici, à la répétition...
Mais leur sacrifice est tel que malgré la fatigue physique ou la possibilité de se reposer chez eux, sur un canapé, de rester parmi les membres de leurs familles, ils viennent chanter. Voyant cela, la pensée d’utilisation de «bâtons» disparaît. Bien sûr, je n’abuse pas de ma position parce que je sais qu’au moment où ce sera nécessaire, les chantres viendront et feront tout. Quant à moi, je n’ai ni famille ni enfants, je vis au monastère et je peux chanter à tout office du jour ou de la nuit pendant toute la semaine.
Vous n’avez donc pas à leur téléphoner pour demander de venir chanter?
Chaque personne a besoin d’une approche individuelle. Il faut téléphoner à l’un et le supplier de venir, mais il est suffisant de dire à l’autre que l’on chante à tel endroit et à telle heure pour entendre sa réponse: «OK, je viens». Par exemple, nous devons chanter vendredi à la liturgie dans un des services de l’hôpital psychiatrique. C’est un jour ouvrable, l’office est à 6 heures du matin. Je peux me lever à 5h 50 et y arriver en dix minutes. Les autres doivent se lever à 5h voire à 4h 30 pour venir ici; que ce soit par un beau ou mauvais temps, mais ils viennent tous. C’est ce qui est à la fois étonnant et inspirant, et aux moments comme ceux-là je pense que je suis paresseux pour me lever. Et voici que je me lève et j’arrive à l’office, mais ils sont déjà là, prêts à chanter. C’est une grande source de motivation mutuelle pour nous tous que de nombreuses autres chorales peuvent ne pas avoir.
Parmi les cinq ensembles qui sont participants au festival de cette année, il y a seulement deux avec les chants ecclésiaux, votre chorale et une de Serbie. Vous avez une mission spéciale, vous représentez le monastère et ses traditions. Parlons-en. Le chœur fait principalement usage du chant de Valaam et votre tâche est de montrer sa beauté au public qui vient au festival. Comment peut-on le faire car chanter au festival ce n’est pas comme chanter à l’office Divin?
Mais le festival la «Voix Souveraine» («Derzhavny Glas») n’est pas un concert ordinaire. Il se déroule non pas à l’endroit de concerts, mais à l’église. Les participants au festival sont des ensembles qui interprètent la musique d’église et l’atmosphère de l’église exclue elle-même le caractère séculier de la manifestation. Le programme se compose principalement de chants ecclésiaux, mais il peut y avoir aussi des chants populaires.
Qu’est-ce que votre chorale va interpréter au festival?
Ce seront des chants de Valaam, des chants byzantins, des cantiques anciens de Russie dans le chant znamenny. Nous espérons qu’ils vont faire nos auditeurs réfléchir. Le public ne sera pas entièrement composé de paroissiens de notre monastère, mais il y aura des gens qui viendront d’autres endroits et d’autres paroisses. Je pense que les spectateurs et les participants aimeront le concert. On est aussi intéressé d’entendre d’autres ensembles puisque le festival c’est aussi un échange d’expérience.
Il n’y a pas longtemps, vous avez visité le monastère de Valaam. Comment cette visite a-t-elle influencé sur votre chorale?
Elle est devenue, en fait, un événement important pour notre croissance. Une personne sur deux dans notre chorale avait déjà été à Valaam. Ce n’était pas pour eux une courte visite de pèlerinage, mais un vrai séjour. Les uns ont vécu sous des tentes dans un camp, les autres dans des cellules monastiques. Il est important pour nous qui utilisons le chant de Valaam, d’avoir l’esprit qui corresponde à l’esprit rigoureux du nord des moines de Valaam. Moi, j’y suis allé pour la première fois cet été accompagné de Sergey Losev qui l’un des chantres de la chorale. Nous avons chanté avec lui dans le chœur des moines aux offices du matin et du soir. Les moines ne s’attendaient pas à ce que nous chantions si bien ensemble, car cela prend généralement beaucoup de temps aux nouveaux venus de s’intégrer, mais nous avons réussi à le faire aussitôt après notre arrivée. Nous avons dit que nous chantions les mêmes choses à notre monastère. Moi aussi, j’ai été surpris de voir comment tout était ressemblant. Nous avons chanté avec les frères du monastère dans des skites différents et avons assisté à cinq fêtes patronales. Nous avons même chanté à deux avec Sergey à l’office des complies dans un skite. La visite du monastère de Valaam nous a permis de ressentir l’atmosphère de ce monastère et de nous rendre compte que nous avons à notre monastère une perception similaire du chant d’église et de l’esprit de son exécution.
Vous êtes maintenant occupé à promouvoir la chorale sur les réseaux sociaux. Pourtant, écouter les enregistrements de la chorale et l’entendre chanter devant les auditeurs, ce n’est pas, peut-être, la même chose?
Ce n’est pas un secret, je pense, qu’avant de publier nos enregistrements dans le réseau, que nous faisons leur certain arrangement sonore afin de les rendre le plus proches possible du chant vivant. En effet, lorsqu’on enregistre le son sur le microphone d’une caméra pour le mettre ensuite en ligne, ce son est toujours altéré par rapport au son réel du chœur.
Comment faites-vous donc les enregistrements?
Cela se passe ainsi: on met une caméra pour avoir l’image et on utilise aussi un enregistreur pour avoir le son. On fait ensuite l’arrangement du son pour mettre ensemble cette piste sonore avec la vidéo. Ce n’est qu’après que l’on les place dans le réseau.
Dites, s’il vous plaît, pourquoi votre chœur fait usage de la chaîne YouTube et a sa propre page à l’Instagram? Vous êtes une chorale qui chante non pas aux concerts mais aux offices Divins.
J’ai depuis longtemps voulu promouvoir la chorale à l’Internet car il y a très peu d’informations sur elle. «Qu’est-ce que c’est que ce chœur d’hommes? Ce sont les moines qui chantent? Ce sont les hommes habitants du Centre d’Accueil?» Il faut dire que le chœur d’hommes est l’un des trois chœurs principaux du monastère Sainte Elisabeth qui chantent pendant les offices Divins de dimanche et de jours de fêtes.
Ainsi, nous avons pu donner des réponses à beaucoup de ces questions et faire mieux connaître la chorale.
Je paie pour notre publicité à l’Instagram afin que l’on puisse nous voir et, éventuellement, découvrir notre œuvre. Pourquoi faire ça? La réponse est bien simple. Nous terminons actuellement le travail sur notre album «Dieu est au-dessus de tous» qui sera disponible au festival. Cependant, il n’y a pas beaucoup de monde qui nous connaît aujourd’hui faute de manque d’informations. C’est bien pour cela que je fais la promotion du chœur et utilise des groupes partenaires à «VKontakte» [un réseau social russe populaire] qui nous aident à diffuser gratuitement les informations à leur nombreux auditoires.
Vous avez bien remarqué que nous ne sommes pas un chœur qui chante aux concerts et nous n’avons pas l’intention de l’être pleinement, néanmoins nous avons déjà eu quelques participations. Ainsi, nous avons chanté deux fois aux «Concerts du Grand carême», on nous a invité en été à chanter pendant quelques offices Divins au monastère Saint Sauveur à Moscou afin de contribuer à la propagation de la tradition de chant znamenny. Ensuite, on a chanté à la fête de la Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu au monastère de L’Annonciation à la Mère de Dieu à Liady, et il n’y a pas longtemps, à Minsk, à la place de la cathédrale à l’occasion du trentième anniversaire de l’Exarchat du Bélarus. Très prochainement aura lieu le festival «Derzhavny Glas» («Voix Souveraine»).
Pourquoi cela se passe ainsi? Parce que les gens sont vraiment intéressés à écouter ce chant inhabituel. Ils ne peuvent pas dire parfois eux-mêmes pourquoi cela leur plaît. Cela est important et intéressant pour nous aussi. Certes, les concerts sont une possibilité de partager ce chant avec d’autres. Pendant les offices Divins ce chant s’unit harmonieusement aux actions sacrées qui ont lieu en ce moment-là dans le sanctuaire. C’est beau et en même temps est au-delà de cette réalité...