Pâques − quel mot ensoleillé, joyeux et plein de sens! Tous se réjouissent − de l'homme aux animaux, du rayon de soleil à la plus petite tige d'herbe. Je n’ai jamais eu deux fêtes de Pâques qui se ressemblent − elles sont toutes différentes et exceptionnellement heureuses. Cette joie s'infiltre dans les coins les plus tristes de l'univers, dans les sous-sols les plus sombres, dans les situations les plus désespérées et dans les âmes les plus malheureuses et incrédules. Selon saint Jean Chrysostome, tous sont unis dans la joie de la Résurrection du Sauveur – ceux qui ont jeûné et ne l’ont pas fait, les chrétiens et les non-croyants − toute l'humanité, l'univers entier. Nos petites joies et nos découvertes personnelles apparaissent comme des diamants dans cette lumière de la Ressurection et ajoutent à l'éclat de cette grande Fête. Je me souviens de ces joies et découvertes à différents moments de ma vie.
Mon frère et moi, nous sommes des écoliers − des jeunes athées avec des cœurs ardents de pionniers. Nous trouvons ridicule tout ce qui concerne la foi; les astronautes sont nos dieux. Nous passons tout le Carême comme des fous avec de la musique forte, des danses, des bagarres, des larmes; nous tourmentons notre grand-mère par notre désobéissance. Ce n'est que pendant la Semaine Sainte qu'elle nous demande d'éteindre la télévision. Surpris par cette demande, nous obéissons. L'appartement est calme. Nous n'entendons que des murmures et des chants à mi-voix en provenance de la cuisine où notre bonne vieille jeûneuse fait frire des boulettes de porc pour nous.
Le soleil brille le matin de Pâques. Ça sent le printemps. La table est mise − une nappe blanche, des œufs rouges, un koulitch découpé, du fromage, du bœuf salé. Nous sortons dans le salon où nous sommes accueillis par notre grand-mère, habillée, un peu gênée, qui nous embrasse solennellement en disant: "Le Christ est ressuscité!" "En vérité Il est ressuscité!" – répondent nos parents. Il ne nous reste rien d'autre que de répéter: "En vérité Il est ressuscité!" Nous nous asseyons à la table baignée de soleil. La grand-mère s'épanouit. La chaleur, l'été qui nous attend, tout une vie devant nous... C'est si bon ! Nous sommes si bien et ne savons pas qu'il nous reste peu de temps à passer ensemble.
De nombreuses années ont passées. Avec mon mari, nous sommes des chantres d’église débutants. C'est la première Pâques que nous célébrons consciemment. Pendant toute la Semaine Sainte, nous avons chanté dans la chorale d'une église dans la banlieue de Moscou. Nous étions tous les deux épuisés. Pourtant, comme cela arrive parfois après de nombreux jours de grande tension, cette dernière nuit avant Pâques nous a soudainement apporté un soulagement. Nous nous dépêchons à l’église pour les matines de Pâques, mais il est clair que nous n'arriverons pas à temps. L’office est sur le point de commencer, et nous avons un long chemin à faire; les pieds de mon mari lui font mal.
Et puis un miracle se produit: Dieu ralentit le temps. Nous ne l'aurions pas cru si nous n'avions pas regardé la montre, contrariés d'être en retard pour un service aussi important! Son aiguille bougeait si lentement que nous sommes arrivés à temps. Dieu ne nous a pas abandonnés avec Sa miséricorde omniprésente, nous, un couple de nouveaux convertis sur le chemin vers l’église. Il nous a donné exactement ce dont nous avions besoin à ce moment-là. Un an plus tard, Pâques correspond à un moment difficile de notre vie. Je suis tiraillée entre l'église, le travail et l'hôpital où se trouve mon mari. Je ne passe que la nuit à la maison. Je me sens comme un coureur olympique qui doit gagner la médaille d'or ou mourir. La Semaine Sainte est terminée. On a chanté la liturgie de Pâques. Le Christ est ressuscité et je vais annoncer la bonne nouvelle à mon époux malade, lui apportant des œufs de Pâques colorés et un grand koulitch. Dans le bus, le chauffeur annonce par un micro: "Le Christ est ressuscité, chers passagers!" "En verité Il est ressuscité!" ‒ résonne le bus, et même un groupe de musulmans reprend ce refrain joyeux. Une joie perçante, comme un rayon, illumine soudain tous les coins de l'âme.
Mon mari est si heureux! "Donne-moi un morceau de koulitch, je vais féliciter un vieil homme..." Il revient excité. "Tu sais, il m'a embrassé la main et a pleuré... Il a dit que c'était la première fois qu'on le félicitait pour Pâques aussi cordialement." Il va féliciter d’autres patients, et je continue à couper le koulitch. Joie après joie, les jours merveilleux de Pâques passent, nous rappelant que nous sommes nés pour la Résurrection. Ainsi, le Christ nous sauve par Sa miséricorde, éveillant dans nos âmes endurcies un sentiment de compassion et de gratitude, aussi que la certitude que nous ne sommes pas abandonnés. Les étrangers nous deviennent proches, car nous nous rendons compte que le Seigneur prend soin de chacune de Ses créatures, qu'il s'agisse d'un vieil homme solitaire, d’un couple de nouveaux convertis ou d'une jeune pionnière non-croyante.
Par Tatiana Dashkevich