Une sœur du Brésil ensoleillé

26 avril 2021

soeur orthodoxe

Vous êtes née et avez grandi au Brésil, un pays catholique le plus nombreux du monde. Pourquoi avez-vous choisi l’orthodoxie? Comment la communauté orthodoxe s’est-elle formée dans votre pays?

Le Brésil est le pays catholique le plus grand du monde. Moins d’un pour cent de la population est orthodoxe. L’Église Orthodoxe a longtemps existé seulement dans le milieu des émigrés, des Grecs, des Russes, des Ukrainiens. Il y avait peu d’églises et elles rappelaient des clubs fermés. Je le comprends très bien qu’il est difficile d’être un émigré. Les gens veulent garder leur unité et les relations avec leurs compatriotes dans un pays étranger.

L’Église n’est pas une organisation humaine mais le corps du Christ. Dans ce sens-là elle est supranationale. Une grande partie de Brésiliens ne trouvait pas la vérité dans l’enseignement de la foi catholique ou protestante. A la fin des années 1980, beaucoup de monde au Brésil s’intéressait à la philosophie de la nature. Ma maman n’a pas été une exception, elle est entrée à une école d’astrologie. Mon papa partageait son intérêt. Sous la direction d’un enseignant charismatique, ils étudiaient la philosophie, l’ésotérisme, les traditions des peuples orientaux, lisaient sur le bouddhisme, le taoisme, le christianisme.

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Une fois nous nous sommes intéressés aux livres d’un philosophe français, René Guénon qui était mort il y a longtemps, et nous nous sommes adressés à leur traducteur au portugais. Celui-ci vivait et travaillait au Portugal et a accepté de nous rencontrer lors de son voyage d’affaires au symposium qui allait se dérouler au Brésil. Lors de la rencontre il a répondu à nos questions, a raconté beaucoup de choses intéressantes et le dernier jour de son voyage, il est venu en soutane noire. Il a dit: «Je suis prêtre, père Athanase. Je vous ai parlé ici de la foi orthodoxe». Il nous a invité à venir au Portugal pour faire la connaissance de l’évêque. Huit personnes de notre groupe étaient parties en ce voyage. Les conversations ont eu lieu au monastère où vivait le Monseigneur. Tous les jours, mes compatriotes apprenaient plus sur l’orthodoxie et après avoir assisté à la Divine Liturgie, ils ont dit: «Nous voulons recevoir le baptême!»

Ainsi, l’école d’astrologie à Rio de Janeiro où mes parents faisaient leurs études, s’est transformée en une école d’orthodoxie. Ceux qui hier encore gagnaient leur vie à faire des horoscopes, ont commencé à répandre à leurs compatriotes une nouvelle foi. En ce temps-là, beaucoup de monde s’est fait baptiser. On recevait le sacrement par de grands groupes chaque Grand Samedi. Avec la bénédiction de Son Éminence, on faisait baptiser les gens directement dans la mer ou dans la piscine.

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Les jeunes enthousiastes ont loué une maison pour y organiser une église orthodoxe. Par leurs propres forces, les paroissiens ont fait une iconostase. On faisait la traduction en portugais de livres d’église nécessaires pour pouvoir commencer la célébration des offices Divins.

Il y venait beaucoup de monde. On parlait de Dieu, du baptême, de l’Église, de la vie spirituelle. La paroisse orthodoxe grandissait peu à peu. Sous la direction d’un chef du chœur professionnel, une chorale d’église a été créée auprès de notre paroisse. Le samedi, une école du dimanche pour les enfants a commencé son travail auprès de l’église. En ce jour-là, le chœur faisait des répétitions, les paroissiens faisaient quelque chose à la main, faisaient des prosphores, les enfants mettaient de l’ordre à l’église, les femmes faisaient des icônes et confectionnaient des habits liturgiques. Les sticharions étaient si particuliers et drôles, mais c’est dans ce caractère inhabituel qu’était quelque chose de chaleureux et de proche. Nous sommes devenus une grande famille unie.

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La foi orthodoxe c’est une foi d’exploit et de travail difficile. Peu nombreux sont ceux à qui cela est proche, peu de personnes veulent travailler pour leur salut. Au Brésil tout est beau et facile, l’homme peut vivre comme il veut. Mais nous ne nous désespérons pas. Quand une vie paroissiale de l’Église Orthodoxe du Brésil a commencé, on a loué une maison pour y organiser une église. Au temps de la prêtrise de mon père, il y avait déjà quelques églises dans des différents quartiers de Rio de Janeiro, avec un prêtre dans chacune.

Comment la venue à l’orthodoxie a-t-elle changé la vie de votre famille?

Pour nous, la venue à la foi orthodoxe a été accompagnée de grandes épreuves qui ont failli détruire notre famille, mais qui finalement l’ont consolidée. Au début, papa était sceptique à l’égard de la vie d’église et ne voulait pas que maman devînt orthodoxe. Quand ses amis sont revenus du Portugal, il a dit: «Hier, ils étaient astrologues, aujourd’hui ils sont des prêtres! Je pense que c’est une secte».

Je ne sais pas ce qui s’est passé entre les parents, mais ils se sont séparés. Après que papa nous a quittées, il a été très difficile à maman. Elle devait faire un choix pas facile – renoncer à son travail. Elle faisait des horoscopes et pour l’argent qu’elle recevait elle nourrissait ma sœur et moi. Maman a choisi l’orthodoxie et a reçu le baptême. Je ne sais pas comment on arrivait à vivre, peut-être que le grand-père et la grand-mère nous ont aidé. C’était un temps très difficile. Encore, nous avons trouvé un appui parmi les amis qui fondaient la communauté orthodoxe.

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Quand papa était parti, un prêtre a béni ma maman, ma sœur et moi, lire ensemble des prières. Je me rappelle avoir demandé dans mon cœur à la Mère de Dieu de résoudre la situation difficile dans notre famille. Le soir, la veille de l’audience sur le partage du patrimoine familial entre mes parents, nous avons prié ensemble et quand nous nous sommes réveillées le matin, papa était déjà à la maison. Les parents se sont réconciliés.

Papa a commencé petit à petit à venir à l’église. Peut-être qu’il a vu des changements dans les gens qu’il connaissait avant et qui sont devenus prêtres. Quelque chose se passait en lui aussi. Ce n’est pas dans nos forces de changer le cœur humain, mais je me rends compte maintenant que c’étaient les fruits de prières pures des enfants.

Papa s’est fait baptiser, a commencé à chanter dans le chœur de l’église et à servir dans le sanctuaire. Une fois, notre chœur a été invité au Portugal. Après ce voyage, papa est revenu diacre. Il a été clair qu’il allait devenir prêtre. Papa a été ordonné prêtre par notre évêque quand il était venu au Brésil. Lors de son baptême, maman a souhaité prendre le prénom de Sophie. Sainte Sophie avait trois filles. Et voici que des années plus tard, quand papa était déjà prêtre, une troisième fille est née dans notre famille. Maman a appris de sa grossesse le jour de mémoire de la Sainte martyre Sophie...

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Quand papa est devenu prêtre, beaucoup de choses ont changé dans la vie de notre famille. La maison s’est transformée en une église, il y avait beaucoup d’icônes dans les chambres. Nous étions venues à l’église les premières et étions parties les dernières. Papa n’avait presque plus le temps libre car tout son temps a été consacré à l’église. Il n’est pas possible au Brésil d’être prêtre seulement, le prêtre doit travailler pour nourrir sa famille. Mon papa était un web-designer et un photographe, il a fait le premier site-web orthodoxe au Brésil. Moi, je faisais la traduction des homélies et des articles en portugais pour cette source, ensuite je suis devenue l’administratrice des groupes orthodoxes dans les réseaux sociaux.

Vous avez voulu devenir moniale dès l’âge de douze ans. Qu’est-ce qui a influencé votre choix?

Dans les familles d’anciens astrologues qui se sont convertis à l’orthodoxie, beaucoup de fils sont devenus prêtres ou diacres et beaucoup de filles sont devenues moniales. Il n’y avait rien d’étrange puisque l’Église est devenue une vie pour nos familles.

Quand papa était parti avec le chœur au Portugal, j’avais douze ans. C’est alors que j’ai entendu pour la première fois parler des monastères. J’ai dit: «Je veux être moniale!» On m’a demandé pourquoi. J’ai répondu: «Parce que les moines ne travaillent pas!»«Mais non, au contraire, les moines travaillent énormément!»«Vous ne comprenez pas ce que je veux dire. Je ne veux pas qu’il y ait dans ma vie seulement le travail et la maison. Je veux avoir une vraie vie!» A douze ans j’ai écrit à l’évêque au Portugal quelques lettres avec un contenu pareil: «Monseigneur, je veux être moniale!» Il n’y a eu pas de réponse à aucune d’elles. Et voici que six ans plus tard, quand j’ai déjà oublié mon désir, l’évêque m’a invitée à visiter un monastère.

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Monseigneur m’a parlé de la vie en Christ et j’ai ressenti que cette vie était vraie. En partant au Portugal avec d’autres jeunes filles du Brésil, j’ai été sûre de revenir bientôt chez moi, mais lorsque je suis entrée au monastère, j’ai ressenti: «Ceci est à moi!» Après le Portugal, j’ai été moniale dans des monastères en France, au Monténégro, en Serbie, en Bosnie-Herzégovine. Monseigneur m’a bénie apprendre l’art de la mosaïque et je suis venue à Minsk. Je pensais y passer trois mois, mais je suis restée pour quatre ans.

J’ai pris le voile au jeune âge. Je ne comprenais pas en ce temps-là que ma décision a causé une douleur à ma mère, j’ai été assez jeune. Mon père me comprenait en quelque sorte. En tout cas, personne ne me faisait des obstacles. Même si les parents avaient un chagrin commun, mais ils comprenaient que ce choix de leurs enfants était ce qui allait favoriser la propagation de la foi dans l’avenir.

Le monastère, doit-il être un endroit de la prière solitaire ou bien doit-il être ouvert au monde, doit-il mener un service actif et porter au monde la lumière de la vraie foi? Quelle représentation du monastère est-elle plus proche pour vous?

Je suis gréco-phile dans mon âme, j’aime beaucoup la Byzance. J’ai été élevée ainsi, je me suis formée ainsi en tant que personne et moniale. Notre communauté avait des contacts avec des monastères en Grèce. Leurs traditions monastiques sont plus proches pour moi. Il y a en Grèce des monastères avec 120 moines ou plus, mais leur vie est plus retirée et protégée. Le moine vit après la tonsure dans sa cellule.

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Tout de même, malgré l’école grecque du monachisme, je me vois plutôt comme un missionaire que la moniale d’un monastère du type fermé. Oui, l’abondance d’informations et la présence de laïcs ne favorisent pas la prière monacale, mais nous vivons au temps où les moines ne peuvent pas s’enfermer des gens, surtout au Brésil et dans les pays où les gens prennent seulement connaissance de l’orthodoxie. Il y a en Serbie des monastères où l’on ouvre la porte aux laïcs pour la Divine Liturgie après quoi on leur offre du café et on referme la porte. Mais les monastères de ce type ne peuvent pas aider la mission au Brésil, en Argentine et dans bien d’autres pays.

Les offices Divins au monastère Sainte Elisabeth sont complets ce qui m’aide vraiment. La personnalité du père spirituel du monastère, père André Léméchonok, me fortifie beaucoup. Après la Divine Liturgie et la communion, il est difficile pour moi d’aller tout de suite à mon obédience et j’ai besoin de rester dans le silence, toute seule en présence de Dieu. Je n’ai jamais travaillé avant aux monastères avec les laïcs, ils ont une autre énergie. Les gens ont beaucoup de questions, ils parlent beaucoup et tu dois donc parler beaucoup. Si tu parles à des laïcs, tu dois être très stable spirituellement.

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Il y a dans l’Ouest des monastères ouverts et fermés. Par exemple, les carmélites suivent la spiritualité des moines ermites, les sœurs de l’ordre de Marie Thérèse aident activement les gens, les âgés, les enfants, rendent visite dans des hôpitaux. Chacun choisit le monastère selon sa disposition. Je sens que c’est le temps aujourd’hui où il est nécessaire d’aider les gens. Je vois que le monastère Sainte Elisabeth est missionnaire.

Le Brésil est connu pour le catholicisme mais aussi pour le football. Vous n’avez pas laissé le football même étant une moniale. Quelle place occupe le football dans vos obédiences monastiques et dans la vie spirituelle?

J’ai fait professionnellement du sport au Brésil. Quand je suis venue en Bosnie-Herzégovine, avec la bénédiction de la mère higoumène j’ai commencé à jouer au football avec les enfants qui venaient au monastère. Tous les samedis, on organisait des compétitions sportives après quoi les enfants venaient à la Divine Liturgie.

La foi et le fait de pouvoir parler aux moines, cela fortifiait les enfants. Il faut dire que dans leur mémoire vivaient encore les souvenirs de la guerre qui a eu lieu en Bosnie-Herzégovine au cours de laquelle beaucoup d’entre eux ont perdu leurs parents. Aujourd’hui, ceux qui jouaient alors au football dans la cour du monastère, ils ont 20-25 ans déjà, ils ont leurs familles et leur vie adulte. Nous continuons à rester en contact avec beaucoup d’entre eux.

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Peut-être que personne d’entre eux ne sera pas footballeur mondialement connu, mais il est important d’avoir une discipline. Tu dois venir à temps, tu dois obéir.

Je me suis toujours senti bien avec les enfants, au Portugal, en France, en Serbie, au Bélarus. On peut être sincère avec eux, il n’y a pas besoin de diplomatie. Quand je suis avec les enfants, je me repose, tout d’abord, de moi-même. Nous, les adultes, nous avons beaucoup de manque de compréhension ce qui nous fait perdre la confiance et la sincérité dans les relations, mais avec les enfants tout est simple – ils vous font confiance et vous leur faites confiance. C’est une formule.

Le football m’aide beaucoup dans ma vie. Il n’y a pas de philosophie dans le sport, on y joue tout simplement. Il y a ceux qui remportent la victoire et ceux qui perdent, on peut faire un match nul. Malgré le nombre de personnes qui sont avec vous et qui sont contre vous, il est nécessaire de travailler pour obtenir un résultat. Cela aide à développer une personnalité en vous.

En quoi voyez-vous le sens du monachisme personnellement pour vous?

Je me suis posée la question: «Pourquoi suis-je du Brésil? J’aurais pu être née au Bélarus ou en Serbie et être une moniale là-bas. Cependant, je suis née ailleurs. Vous avez autant de monastères, autant de moines, que donc fait ici encore une moniale originaire de l’Amérique latine? Puisqu’il y a un grand besoin même d’un moine au Brésil...»

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Les moines sont des gens qui sont libres de leurs propres désirs. Lorsque l’homme se remet entre les mains de Dieu, son désir est d’accomplir la volonté de Dieu. Comme il est dit dans la Bible: donne-moi ton cœur (cf: Proverbes 23: 26), le moine a déjà donné son cœur à Dieu.

Saint Païssios de la Sainte-Montagne avait très bien dit: «Nous devons être comme une feuille blanche de papier. Laissons Dieu écrire sur elle». Nous devons sauver nos âmes où que nous soyons, au Bélarus, en Serbie, au Brésil.

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